Mais voilà, il y a eu ces quatre petits mois, entre ses quinze et seize ans, qui ont légèrement changés la donne durant cette période. Ça peut paraître grotesque quatre mois pour influencer une vie, et pourtant c’est bel et bien le cas pour le jeune homme. C’était un vendredi soir, ou peut-être bien un samedi qu’importe, Andy traînait dans un vieux et délabré skate park à des dizaines de minutes de chez lui, il aurait une bonne raison à donner lorsqu’il rentrera, comme d’habitude, après le dîner. C’était une de ses passions, le skate, même s’il n’aimait pas employer ce mot « passion », ça lui permettait de s’évader quelques instants de la réalité et d’oublier ses parents et la pression qui lui mettait continuellement même s’il niait que ça le touchait malgré lui. Bref. C’est lors de cette soirée là qu’Andréas rencontra Jodie. Elle était âgée du même âge que lui, plutôt petite avec de belles boucles brunes qui dansaient en harmonie dans son dos mais surtout, c’est ce qu’il remarqua en premier, elle avait un tel regard. Vous savez, un de ces regards qui vous ensorcèle sur le coup et à damner les enfers. Et puis, elle était jolie, avec un petit côté chat sauvage à apprivoiser, et avec les griffes par-dessus tout. Elle roulait sur son skate, les écouteurs aux oreilles, les mains dans les poches. Elle ne ressemblait encore à aucune fille qu’il avait connu, elle était différente, il le sentait. Il y avait une certaine désinvolture dans sa manière d’être, de la manière dont son corps se mouvait, de la manière dont son visage restait impassible. Mais Andréas était bien le seul à remarquer ce détail chez la jeune fille, il s’en ait rendu compte quelques temps après, chez les autres, c’était de la fierté, de l’ego mal placé. Elle lui ressemblait tellement, et en même temps, si peu. Comment pouvait-on percer tant de mystère à la seule vue de sa silhouette ? Andréas n’en savait rien, et sans qu’il ne s’en rende compte, il abordait la jeune fille. Comme un gamin qui ne pouvait résister à l’appel d’une glace au chocolat, elle était sa gourmandise, la gourmandise la plus précieuse à ses yeux. Elle est devenue sa raison de vivre, celle qui rythme son existence. Sa joie de vivre émanée de tout son être et enivrait délicieusement le jeune homme qui n’était que trop aveugle face à la vraie réalité du monde. Car du jour au lendemain, elle n’est plus venue au skate park. Elle avait disparu tout simplement, laissant Andréas plus que jamais seul et blessé. Et c’est la semaine suivante qu’il apprit la nouvelle qui anéantit une part de lui. « Mon chéri, ton amie… Je viens de l’apprendre, tu sais… Elle est morte, un accident de la route, avec sa planche à roulettes, le conducteur ne la pas vue… je suis désolée… » Il n'écoutait qu'à demi-mots la voix de sa mère, car, en temps normal, il aurait forcément répliqué à l'entente de "planche à roulettes" mais un faussé béant c'était creusé entre le moment présent et l'état dans lequel il venait d'être plongé. Il n'insista même pas pour aller à son enterrement, ce qui sembla rassurer étrangement ses parents, mais à ce moment-là, il ne fit même pas attention aux regards en coin qu'ils se lançaient dans les jours qui suivirent. Et puis l'été passa, sans encombre, pour une fois. Avait-il fait son deuil ? Personne ne pouvait vraiment dire ce qu'il en était. Était-il dans la phase, qu'on dit, de "résilience", celle qui consiste à accepter et à continuer de vivre ? Andréas n'aura jamais été aussi difficile à cerner. Tandis que ses parents croyaient en une certaine rédemption de son passé, lui, mettait en scène cet artifice, alors qu'en réalité, profondément, il se laissa porter par un déni de plus en plus naissant. Ce qui finit par faire ressurgir ses "mauvais démons".
(extrait de ma présentation)